A la rentrée de septembre, Michel, le nouvel instituteur arriva au village. Toutes les jeunes filles s'accordaient à le trouver séduisant. Il était élancé, sportif, le visage rieur, avec une
tignasse blonde et de grands yeux noirs. Marion et lui se rencontrèrent à la fête du village. Ils passèrent un moment ensemble et se sentirent attirés l'un par l'autre.
Elle le seconda de tant à autre pendant la classe et des liens affectifs se tissèrent rapidement entre eux. Les jours de congé, ils partaient se promener dans la campagne vallonnée, main dans la
main.
Michel se confia à elle, lui raconta les raisons de sa venue dans la région et lui dit tout sur sa vie. Il avait beaucoup de mal à contrôler ses élans pour Marion, mais ne pouvait se résoudre à lui déclarer sa flamme. Quelque chose dans l'attitude de la jeune femme le retenait. Elle avait un côté mystérieux qu'il ne comprenait pas, parfois un regard triste. Elle ne s'était pas livrée contrairement à lui et il ne savait absolument rien d'elle. Le mystère de sa vie restait entier.
Avec décembre, le froid arriva. Noël était proche. Les préparatifs de la fête allaient bon train. Les sapins se couvraient de guirlandes et le village s'exila sous la neige. Les communications étant pour ainsi dire nulles, on décida de fêter Noël dans la salle des fêtes, tous ensemble. Marion et Michel aidèrent à tout installer. Mais Michel était contrarié car il sentait Marion de plus en plus nerveuse au fur et à mesure que la journée s'avançait.
Elle ne souriait plus et de temps en temps son visage se fermait. Il l'attira à l'écart des autres.
- Marion, tu veux bien me dire, ce qui ne va pas ? lui demanda-t-il.
- Mais, tout va bien lui dit-elle avec un sourire qu'elle voulait rassurant.
Il la prit par la main et leva son menton vers lui. Elle détourna la tête.
- Regarde-moi ! dit-il.
L'éclat de ses yeux, le glaça. Ils étaient bleu foncé, et un instant il vit quelque chose d'indéfinissable et de terrifiant, les traverser.
- Je vais bien, Michel répondit-elle d'une voix qui n'était pas la sienne, une voix sourde, comme entourée d'écho.
Je suis juste un peu fatiguée. Laisse-moi, ajouta-t-elle un peu plus sèchement qu'elle n'aurait voulu.
Elle se dégagea et repartit dans la salle. Michel était perplexe.
Il savait bien que par moment, elle se fermait, s'isolait, devenait encore plus secrète, mais cette réaction ne lui ressemblait pas.
Il retourna dans la salle, et ne l'y trouva pas. Il la chercha en vain et décida d'aller chez elle.
Il craignait de la mécontenter davantage, mais il devait savoir. Peut-être était-elle souffrante ?
Un long silence lui répondit. Il insista.
- Je t'en prie, Marion, ouvre-moi !
Il frappa, longtemps et ne reçut aucune réponse. Il savait qu'elle était là. Il l'entendait et la sentait derrière la porte. Elle n'ouvrit pas.
Il s'assit sur le petit perron, prit sa tête dans ses mains, soupira et attendit.
Juste avant que le soir tombe, elle entrebâilla la porte.
- Va t'en Michel, dit-elle simplement.
- Mais Marion, qu'y a-t-il ? dit-il en se relevant. Tout allait bien et puis tout à coup tu t'en vas, explique-moi !
Elle voulut refermer la porte, mais le jeune homme la coinça avec son pied. Il la repoussa et entra.
Il prit Marion par les épaules et la retint fermement.
- Maintenant, tu vas me répondre !
La jeune femme éclata en sanglot.
- Je ... , laisse-moi, supplia-t-elle, s'il te plaît. Tu ne dois pas venir ici. Pars, tout de suite.
- Marion, je t'aime, lui dit-il.
Ses sanglots redoublèrent, et elle se blottit dans ses bras.
Il la serra contre lui, lui caressant les cheveux, puis avec une infinie douceur approcha ses lèvres de sa bouche. Il s'attendait à un refus, mais elle se laissa faire et lui rendit son baiser. Leurs lèvres se prirent, se soudèrent et ne voulurent plus se quitter.
Une fenêtre s'ouvrit laissant entrer le vent glacial.
Marion se dégagea, brusquement.
- Michel, il y a des tas de choses que je ne peux pas te dire. Maintenant, si tu m'aimes réellement, tu dois partir. On se verra demain.
- Comment cela, demain ? Et le réveillon ?
- Je suis désolée, dit-elle, je ne peux pas sortir le soir. Je te demande pardon, mais je ne savais pas comment te le dire.
Les larmes inondèrent à nouveau son beau visage. Elle le prit par la main et le poussa dehors.
Michel partit chez lui, complètement abasourdi.
Marion referma la porte et s'appuya dessus. Elle était bouleversée. Elle avait du faire un effort énorme pour repousser son ami. Sa déclaration l'avait prise au dépourvu, même si elle s'y attendait. Elle avait eu un instant d'égarement et s'en voulait terriblement. En répondant à l'étreinte de Michel, elle l'avait encouragé, et elle n'avait ni le droit de l'aimer, ni celui de le laisser espérer.
Elle alla dans sa chambre et se prépara, l'heure approchait. Ce soir c'était la nuit de Noël et ce qu'elle s'apprêtait à faire, prenait encore plus de signification. Pendant, juste un instant, Marion faillit tout abandonner pour rejoindre Michel, puis elle se reprit et ouvrit la porte encastrée dans le mur de sa chambre.
Derrière l'ouverture, un rectangle lumineux d'un mètre cinquante de haut se dessinait sur le mur. Les contours étaient un peu flous et il semblait flotter à quelques centimètres du sol. C'était
une porte. Une porte sur ailleurs.
Marion prit une profonde inspiration, fit un pas, puis deux et franchit le passage rayonnant qui l'absorba. Elle disparut et la porte s'effaça. Il ne restait plus que le mur lisse.
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