Vendredi 11 avril 5 11 /04 /Avr 10:55
SOLSTICE D'ETE


Myriam fut réveillée par le piaillement des oiseaux qui tenaient conversation derrière sa fenêtre. Elle se leva et fut éblouie par le soleil matinal en ouvrant ses volets. Elle respira à plein poumon l'air encore frais, parfumé des fraisiers sauvages.


Quelques mois auparavant, elle avait décidé de tout recommencer. Elle avait quitté son ancienne vie, balayé tout son passé, tenté de tout oublier. Et en mai dernier, elle avait loué cette petite maison, dans une clairière, à l'écart du village, au fin fond de la Creuse.


L'annonce l'avait attirée irrésistiblement et elle avait signé le bail sans tenir compte de la mise en garde du notaire : « Cet endroit a très mauvaise réputation, personne ne veut y habiter. On raconte qu'autrefois, dans cette clairière, se pratiquait des rites diaboliques et des sacrifices à l'emplacement même de la maison ».
Mais la jeune femme ne crut pas à ces superstitions et obtint la maison pour un loyer dérisoire.


En ce matin de juin, elle ne regrettait pas sa décision. Comme elle se sentait bien ! Le calme de la forêt la pénétrait, lui redonnant la sérénité et l'apaisement.
Elle occupait le plus clair de son temps à explorer les bois, tout seule. Son esprit imaginatif n'avait plus de frein. Plus personne, désormais ne lui imposait ce qu'elle devait faire ou penser.

La nuit, sur le pas de la porte, allongée sur sa chaise longue, sous l'auvent, elle écoutait les bruits de la forêt. Elle fermait les yeux et laissait son esprit vagabonder. Elle voyageait par la pensée, loin, très loin, dans des contrées oubliées.

Elle avait même vécu à plusieurs reprises des manifestations étranges qui l'excitaient plus qu'elles ne l'inquiétaient.
Elle était endormie et lentement elle se séparait de son enveloppe physique et se regardait dormir ! Myriam sentait que dans ces moments là, elle pourrait, si elle le désirait vraiment, partir avec ce corps invisible en laissant l'autre sur le transat, et que ces voyages ne seraient pas une errance instinctive mais un acte conscient et volontaire. Seule l'appréhension l'empêchait de se laisser aller. Elle réintégrait alors son corps aussi facilement qu'elle enfilait une robe !

Elle confia son secret à Steven, dont elle avait fait la connaissance dans les bois en cherchant des champignons. Lorsqu'ils en discutèrent, il pâlit et lui conseilla de déménager au plus tôt. Cette maison est ensorcelée, lui dit-il et les promeneurs l'évitent depuis toujours. Il eut vraiment l'air inquiet et il lui fit promettre de l'appeler si elle avait besoin de lui.
Mais pour rien au monde Myriam ne serait partie. Elle adorait sa clairière et son calme, ce n'était pas quelques bizarreries qui la feraient s'en aller, au contraire !

Aujourd'hui, vingt-quatre juin, elle fêtait ses vingt ans. Bien reposée, et après un bon petit déjeuner, elle s'apprêtait à partir se promener lorsque le téléphone sonna.

- Allô ?
- Myriam ? C'est Steven, comment vas-tu, ce matin ?
- Très bien, j'allais sortir faire un tour.
- Ce soir, je vais à la fête à Villeneuve, veux-tu m'accompagner ?
- Non, je regrette, je ne suis pas libre, je reçois des amis.
Les mots sortaient de ses lèvres, comme dotés d'une vie propre.

- Ah, bon ! dit-il surpris. Tout va bien Myriam?
- Oui, oui très bien ! Bon, il faut que je parte. On se verra dimanche, si tu veux. Passe à la maison !
Et elle raccrocha rapidement, ne comprenant pas pourquoi elle avait menti à Paul.


Elle sortit, traversa la clairière et s'enfonça dans les bois. Elle se promena toute la journée, explorant des parties de la forêt qu'elle ne connaissait pas encore, et découvrant çà et là des dolmens enfouis dans la mousse du temps et oubliés des hommes.

Myriam revint chez elle, alors que le soleil, lentement, disparaissait derrière les arbres. La clairière était déjà plongée dans la pénombre, mais il faisait encore très chaud.

Elle prit une douche, laissant l'eau se répandre le long de son corps, ses longs cheveux dorés, ruisselant sur son dos. Elle se parfuma et enfila une longue robe blanche, transparente, qui ne cachait rien de sa jeune féminité.
Après un repas frugal, elle s'étendit sur sa chaise longue, allumant comme à l'accoutumée un bâton d'encens. La nuit était tombée et seule la lumière de l'entrée, empêchait la jeune fille d'être dans l'obscurité totale.


Myriam ferma les yeux, laissant l'odeur ensorcelante de l'encens pénétrer ses narines et monter jusqu'à son esprit. C'était comme une drogue, qui prenait possession d'elle, lui ôtant toute volonté.
Peu à peu, elle perdit la notion du temps et de l'espace environnant.
Comme cela lui était arrivé si souvent, son esprit se détacha lentement et se mit à errer autour d'elle, mais peu à peu l'environnement habituel se modifia. Les arbres étaient toujours à leur place, mais ils étaient plus petits. Puis elle sut qu'elle était toujours chez elle, mais bien des années plus tôt.
Là-bas, dans la clairière, un grand feu flambait.


Des hommes et des femmes, vêtus d'une étrange manière, étaient rassemblés tout autour. Ils portaient de longues robes noires, resserrées à la taille par une simple cordelière et la tête recouverte d'un grand capuchon dissimulant leur visage. Ils semblaient attendre tout en psalmodiant de curieuses incantations, leurs corps vibrant au son de la mélopée.

L'une des femmes se leva et se dirigea vers le corps de Myriam allongé sur la chaise. A l'instant où la femme lui toucha la main, son esprit se retrouva brutalement dans son corps et elle ouvrit les yeux.

Elle se redressa, comme une automate et suivit la femme qui se dirigeait vers le feu. Autour d'elle, les complaintes et les incantations montaient en crescendo. Toute l'assistance était en transe. La jeune fille frissonna malgré la chaleur du brasier d'où se dégageait un parfum enivrant d'herbes et de feuilles brûlées. Elle était consciente mais elle n'avait plus aucun pouvoir de décision.


Puis, il y eut un mouvement, là-bas, dans les fourrés : un soupir, un froissement, un murmure. Myriam sentit, plus qu'elle ne vit, l'ombre qui s'approchait, et l'odeur infâme qui la précédait. Alors, en un instant, elle comprit. Elle avait été transportée, Dieu sait comment, dans une époque reculée, au même endroit, un vingt-quatre juin, nuit du solstice d'été, et allait être offerte au Démon, lors d'un rite satanique !


Les sorcières la firent allonger sur le sol. Elle n'offrit aucune résistance, elle en était incapable. Il était tout proche, à présent. Elle ne le voyait toujours pas, mais une odeur infecte de pourriture, et de chair en décomposition remplit l'air.
Soudain, il fut sur elle. Le froid glacial la pénétra brutalement, s'insinuant dans son intimité. Quelque chose d'énorme la déchira. La douleur éclata violemment dans son ventre, puis l'envahit toute entière. Elle voulut hurler, mais ses cris s'étranglèrent dans sa gorge. Au fur et mesure que le monstre la possédait, disposant de son sexe et de son corps, elle perdit toute notion d'elle-même.


Elle entendait l'horrible essoufflement qui semblait venir de partout, comme si l'air lui-même avait décidé de la prendre. La souffrance et l'horreur la submergeaient, la paralysaient et lui enlevaient ce qui lui restait de volonté. Elle était soumise à l'être le plus abject qui puisse exister. Elle sentait une hideuse et effroyable excitation grandir dans la puissance infernale qui disposait d'elle. Elle s'abandonna, laissant l'être démoniaque assouvir ses instincts bestiaux.
Myriam sombra peu à peu dans un état proche de la folie, finissant presque par prendre du plaisir à l'horreur qu'elle subissait. Elle sentit que le démon allait se répandre en elle, tant ses mouvements s'accéléraient, la déchirant de plus belle. Elle hurla cette fois, un long cri déchirant dans la nuit.

- Myriam ! Réveille-toi, c'est fini, tu as fait un cauchemar ! Myriam !

Steven tentait vainement de la réveiller, en la secouant. Elle était agitée de soubresauts et continuait de hurler comme une damnée. Elle finit par ouvrir les yeux et vit Steven qui la tenait dans ses bras.
Le soulagement la fit éclater en sanglots. Elle se blottit contre lui, le serrant éperdument.

Elle s'aperçut alors, que sa robe blanche était maculée de sang.

Par Marion - Publié dans : nouvelles légères - Communauté : Ecritures Sensuelles
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