Le blog de Marion
Un après-midi, elle fut appelée à l'école car une fillette était tombée d'un mur sur lequel elle s'était réfugiée poursuivie par un garçonnet.
La petite fille souffrait beaucoup et pleurait bruyamment. Elle était allongée sur une table et s'accrochait désespérément à Michel. Marion, sans regarder le jeune homme, examina rapidement l'enfant.
- Sa jambe est brisée en plusieurs endroits, dit-elle. Il faut l'emmener à l'hôpital.
- Ce n'est pas possible dit Michel. Il y a eu un éboulement sur la route et elle est coupée. Nous sommes isolés du monde pour un jour ou deux, peut-être plus. Tu dois la soigner Marion, ici.
- Mais ce sont des fractures ! Il faut les réduire chirurgicalement, je ne suis pas médecin.
- Tu es beaucoup plus et je suis sûr que tu peux, si tu le veux dit-il l'air narquois. Tes pouvoirs ne sont-ils pas immenses ?
Marion ne releva pas l'ironie tout juste aimable de Michel.
- Je vais voir ce que je peux faire dit-elle. Mais il faut la transporter chez moi.
Le père de la fillette la prit dans ses bras. Michel les accompagna.
L'enfant fut allongée sur le lit de Marion. La jeune femme fit quelques passes avec ses mains au-dessus de la fillette qui s'endormit aussitôt.
- Maintenant, sortez dit-elle. Toi aussi, Michel.
- Non.
Il la regarda bien dans les yeux, la défiant.
- Ne me provoque pas, Michel, s'il te plaît, dit-elle, soudain nerveuse.
- Je reste là, répondit-il. Je veux te voir à l'œuvre.
- Venez Michel, dit le père de la fillette.
- Sors ! ordonna-t-elle. Tout de suite ! Cet enfant a besoin de soins et je n'ai pas le temps de m'occuper de toi.
- Il n'en est pas question ! cria-t-il.
- Très bien. Si tu le prends comme ça tu vas voir une partie de mes pouvoirs qui t'intéresse tant.
Marion était furibonde. Pourquoi Michel était-il aussi têtu ? Il la poussait dans ses limites, sans se rendre du compte du danger. Alors, elle fit quelque chose d'irrémédiable. Elle se dirigea
vers la porte du mur, mais ne l'ouvrit pas. Elle ferma les yeux.
- Luc ! dit-elle simplement, en présentant les paumes de ses mains, à la porte.
Il était très rare qu'elle utilise ce prénom. Il lui servait uniquement dans les cas extrêmes.
Michel regarda la jeune femme.
Elle sembla grandir, devenir lumineuse. Puis, elle se retourna. L'éclat sombre de ses yeux, le terrifia.
Un instant, il regretta, mais c'était trop tard. Le vent se leva dans la pièce faisant voler les longs cheveux de Marion. Elle tendit les bras vers lui et souffla. Il fut projeté à travers la
pièce, manqua de peu l'ouverture de la porte de la chambre et se retrouva à terre, au milieu de la cuisine. Elle s'approcha de lui et leva la main vers le visage du jeune homme, écartant
légèrement les doigts. Michel vit nettement ses ongles et frémit. Ils étaient pointus, légèrement recourbés et mesuraient au moins cinq centimètres. La main droite de Marion lui cingla le visage
et ses ongles creusèrent cinq profondes ornières sur sa joue. Il hurla, posa sa main sur son visage et vit le sang. Il gémit de douleur et recula jusqu'à la porte.
- Sors ! Ou je continue dit-elle avec une voix entourée d'écho.
Cette fois le jeune homme, paniqué, obéit.
Il sortit hébété et s'évanouit sur le perron.
Paul qui avait été averti, se précipita et l'emmena rapidement.
Une fois seule, Marion ouvrit la porte dans le mur et Luc entra. Il ressemblait à un humain comme tous les autres, juste un peu plus grand et avec un regard fascinant.
- Je vais t'aider, dit-il. Mais c'est exceptionnel et je veux quelque chose en échange.
- Tout ce que tu voudras, mon aimé, mais guéris cette petite fille, elle souffre beaucoup.
- Je te dirai mon souhait ce soir, répondit-il.
Il s'approcha de l'enfant et posa ses mains sur sa jambe, quelques secondes. Les os se remirent en place instantanément. La petite fille soupira dans son sommeil.
L'être se tourna vers Marion, lui caressa la joue, puis il franchit la porte lumineuse qui se referma derrière lui.
Marion prit la fillette dans ses bras et la rendit à son père qui la remercia sans poser de questions.
Le village, un peu reculé dans une campagne oubliée, avait depuis longtemps accepté Marion. On la prenait pour une fée, plutôt que pour une sorcière. Même si parfois, comme avec la fillette de l'école, ses guérisons étaient pour le moins extraordinaires, personne ne posait de questions, ni ne cherchait d'explication.
Seuls, Paul et Michel étaient trop curieux. Marion pensait qu'en ce qui concernait le premier, l'avertissement avait porté ses fruits, mais Michel ne s'avouerait pas battu, malgré la douleur et la peur qu'elle lui avait faites, elle en était certaine. L'autre homme l'inquiétait aussi. Celui-là était plus subtil que les deux autres et ne mettrait pas longtemps à découvrir son secret, elle en avait bien peur.
Michel n'avait pas repris connaissance. Paul était penché sur lui. Il avait lavé les sillons profonds. Mais le sang coulait toujours malgré les compresses hémostatiques. Il les avait déjà
changées plusieurs fois, mais rien n'y faisait.
- Ecarte-toi, une seconde dit Gabriel.
Il tendit ses deux mains à quelques centimètres du visage de Michel et ferma les yeux. Il se concentra. Tout à coup, il respira plus vite et se mit à trembler. Paul l'observait mais ne fit rien
jusqu'au moment où Gabriel fut agité de secousses violentes. Il ouvrit les yeux. Ils étaient écarquillés et brouillés de larmes. La terreur se lisait dans son regard. Et pendant une seconde, Paul
eut l'impression que quelqu'un d'autre regardait par ses yeux. Quelque chose de noir et de puissant. Il frissonna.
Gabriel bredouilla quelque chose que Paul ne comprit pas. Celui-ci le prit par les épaules et le secoua quand il s'aperçut qu'il était ailleurs.
- Gabriel ! Reviens avec nous ! Réveille-toi !
Il le gifla.
Gabriel le regarda avec étonnement puis réalisa.
- C'est un démon, qui a fait ça, Paul et pas n'importe lequel. Il est extrêmement puissant.
- Ce n'est pas Marion ?
- Non, elle n'a été que le bras. Mais elle est très forte, elle aussi.
- Il faut que je te dise quelque chose, dit Paul.
Et il raconta l'épisode qu'il avait vécu, chez Marion, peu après son arrivée.
- Alors, il n'y a plus de doute dit-il. Nous nous trouvons devant un phénomène satanique très important.
- Qu'allons-nous faire ? demanda Paul.
- Tout d'abord, trouver le moyen de soigner Michel, car s'il continue à saigner, il n'en a pas pour bien longtemps.